Le grand écrivain qu'est Amos Oz nous revient avec un recueil de nouvelles sur le fil, oscillant constamment entre humour et désespoir.
Nous sommes dans les années cinquante, au kibboutz Yikhat et ces "chapitres" nous présentent successivement les habitants de l'endroit : Nahum Asherov, le père interloqué et hésitant, David Dagan, le pilier sûr de lui et inamovible, Yoav Carni, premier enfant du kibboutz et l'intégrité personnifiée, et tant d'autres. Chaque personnage amène sa touche au tableau peint par Amos Oz. Celui-ci réussit ainsi à nous faire ressentir une atmosphère, une ambiance qui je pense n'existent nulle part ailleurs. Les individus forment le tout.
Les nouvelles se finissent dans l'attente, les personnages sont souvent hésitants, souvent écrasés par les lois du kibboutz, n'osant jamais les enfreindre. Mais conscients de cette empreinte qui marque leur destin, ils trouvent chacun leur façon de s'en accommoder. Nulle dénonciation de la part d'Amos Oz mais pas d'acceptation non plus. Le constat pourrait être glaçant, comme dans cette nouvelle Le petit garçon : un père est forcé de ramener au dortoir collectif son fils qui sert de tête de turc à tous ses camarades. Mais la tendresse de l'auteur pour cet endroit affleure, comme s'il ne pouvait se résigner à rejeter en bloc ce mode vie. On pense à Isaac Bashevic Singer dans cette façon de considérer ses personnages : moqueur mais affectueux.
Un magnifique recueil, qui pourrait être appelé roman, qui laisse le choix au lecteur...
«Yoav appréciait ces patrouilles nocturnes qui rompaient la routine du quotidien : les discussions des comités du kibboutz, les requêtes et doléances de ses membres. Quand il ne recueillait pas les confidences d'hommes et de femmes beaucoup plus âgés que lui, il devait régler des problèmes sociaux délicats par des solutions avisées, affronter des casse-têtes budgétaires, gérer les relations avec l'extérieur ainsi que la représentation du kibboutz dans les différentes institutions du mouvement. Ces nuits-là, en revanche, il déambulait seul au milieu des resserres et des poulaillers, longeait la clôture éclairée par des projecteurs jaunes et prenait le temps de réfléchir, assis sur une caisse retournée devant la ferronnerie. Ses pensées tournaient autour de Dana sa femme, allongée dans le noir avec la radio allumée en attendant le sommeil, et des jumeaux endormis dans la maison des enfants.
Extrait page 95.
-> Entre amis, Amos Oz, Gallimard, 17.50€