Les mots semblent avoir perdu la mémoire. Comme s’ils balbutiaient pour retrouver le fil de leur histoire. Roma…Roman.
Sensation d’une vie déjà vécue, émergence du souvenir, après ce coup de fil qui la convoque à Rome pour célébrer le film dont elle fut l’icône, Ariane ne sait plus.
Vingt ans plus tard, lasse de la vaine pavane des corps, la starlette endiablée devenue « analyste des âmes » se décide pourtant à retrouver sous les feux déclinants de la cité antique les hommes qui ont façonné sa légende.
Adrien, réalisateur de « Ciné Roman » - un incunable du septième art- et Jim, son partenaire et ex –amant, vont se livrer sous ses yeux à une dérisoire confrontation, mesurant à quel point, parfois à leur insu, « ils s’étaient tant aimés ».
Si le récit des retrouvailles est d’abord dévoilé par le prisme d’une femme de quarante ans fouillant les strates de son passé, il est repris par chaque personnage qui lui imprime sa vision. Des monologues orchestrés par une voix venue d’ailleurs, dont le vouvoiement résonne comme une incantation. Sous l’ effet du « vous », nous pénétrons dans la division du sujet, possédés par cette voix intérieure particulière à chaque être, dont les périodes de la phrase épousent la scansion.
C’est sans doute l’écho de la parole d’Ariane qui demeure lorsqu’on a refermé le livre. Comme Rome, dont elle retrouve les sentes et qu’elle arpente de sa démarche dissonante, Ariane se réapproprie sa légende. Elle seule tire les fils du récit et déjoue les ruses du temps. Avec sa beauté distante et quiète, Ariane possède ce rapport au monde, ce regard pacifié, parfois posé comme une absolution, que lui confère le voisinage de l’inconscient.
Adrien se débattant entre son intellectualisme décadent et ses rudesses de classe, tandis que Jim se projette dans l’écriture d’un possible roman.
Rejoignent le trio d’autres personnages qui brouillent les pistes, adjuvants d’une narratologie très maîtrisée. Marco, jeune italien « caravagesque » et Mélanie, actrice du nouveau film d’Adrien, se croisent parmi les festivités commémoratives, sous la lumière « orangée » de la Villa M et des vestiges de la cité romaine.
Sous l’égide du cinéma, de ses plus grands noms, le roman foisonne de références à un passé chargé d’histoire.
Dans la lignée d’un illustre héritage et sur les traces du « temps retrouvé », Philippe de la Genardière s’attaque ici à l’expérience de la confrontation avec un passé revisité, suscitant chez le lecteur l’illusion d’une mémoire textuelle qui traverserait son œuvre ; pour qui a déjà lu son précédent récit (« l’année de l’éclipse »), le trouble est immense.
Désorienté par la récurrence des fantasmes, dérouté quelquefois par l’image idéale de la femme, perdu dans les méandres d’une ville mythique, le lecteur flotte entre les lignes d’une fiction qu’il croit avoir déjà lue, mélangeant les personnages, l’écrivain, l’artiste, le/ la psy, comme fragmentations probables de l’ auteur/ narrateur.
Cette virtuosité d’une écriture dont le sensualisme nous emporte au -delà de la conscience et du temps constitue probablement la prouesse de l’ oeuvre.
-> Roma / Roman, Philippe de la Génardière, Actes Sud, 21.80€.