1506, le Sultan Bayezid, qui a refusé quelques années plus tôt les plans dessiné par Léonard de Vinci, fait appel à Michel-Ange afin de concevoir un pont monumental sur la Corne d'Or. Malgré ses obligations auprès du Pape Jules II, le sculpteur de génie succombe à la tentation et honore son invitation...
Un pont au milieu du port d'Istanbul. Un ouvrage de plus de neuf cents pieds de long. Michel-Ange a mollement essayé de persuader les franciscains qu'il n'était pas qualifié. Si le sultan vous a choisi, c'est que vous l'êtes, maître, ont-ils répondu.Et si votre dessin ne convient pas au grand turc, il le refusera, comme il a déjà refusé celui de Léonard de vinci. Léonard? Passer après Léonard de Vinci? Après ce lourdaud qui méprise la sculpture? Le moine, sans trop s'en rendre compte, a immédiatement trouvé les mots pour convaincre Michel-Ange : Vous le dépasserez en gloire si vous acceptez, car vous réussirez là où il a échoué, et donnerez au monde un monument sans pareil, comme votre David.
Pour le moment, adossé à un bastingage de bois humide, le sculpteur sans égal, futur peintre de génie et immense architecte n'est plus qu'un corps, tordu par la peur et la nausée. (p19)
En quelques pages, Mathias Enard force la porte de l'intimité créatrice de Michel-Ange, et nous immerge dans la suave atmosphère de Constantinople. L'auteur trempe sa plume dans les découvertes exotiques du grand artiste florentin et tire les fils de sa prime naîveté pour mieux tisser la trame politique et religieuse d'une cité cosmopolite.
Êtres étranges que ces mahométans si tolérants envers les choses chrétiennes. péra est peuplée essentiellement de latins et de grecs, les églises y sont nombreuses. Quelques juifs et maures venus de la lointaine andalousie se distinguent par leurs costumes. Tous ceux qui ont refusé de devenir chrétiens ont récemment été chassés d'Espagne. (p54)
L'auteur déploie dans ce roman toute sa virtosité et nous régale d'une langue fluide et précise. Cent cinquante pages de maîtrise et de poésie, où tout devient Art. En nous rapportant le génie et la délicatesse de Michel-Ange, Mathias Enard semble s'en être imprégné... Les derniers mots seront donc les siens. Régalez-vous !
Je sais que les hommes sont des enfants qui chassent leur désespoir par la colère, leur peur dans l'amour ; au vide ils répondent en contruisant des châteaux et des temples. Ils s'accrochent à des récits, ils les poussent devent eux comme des étendards ; chacun fait sienne une histoire pour se rattacher à la foule qui la partage. On les conquiert en leur parlant de batailles, de rois, d'éléphants et d'êtres merveilleux ; on leur raconte le bonheur qu'il y aura au-delà de la mort, la lumière vive qui a présidé leur naissance, les anges qui leurs tournent autour, les démons qui les menacent, et l'amour, l'amour, cette promesse d'oubli et de satiété. Parle-leur de tout cela et ils t'aimeront ; ils feront de toi l'égal d'un dieu. Mais toi tu sauras, puisque tu es ici tout contre moi,, toi le franc malodorant que le hasard a amené sous mes mains, tu sauras que tout cela n'est qu'un voile parfumé cachant l'éternelle douleur de la nuit. (p66-67)
-> Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, Mathias Enard, Ed. Actes Sud, 17€
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