Après s’être intéressée à l’histoire de Séraphine de Senlis (qui avait fait l’objet d’un film de Martin Provost avec la magnifique Yolande Moreau), Françoise Cloarec nous fait découvrir un autre artiste extraordinaire et méconnu, Marcel Storr.
C’est en rencontrant le couple Kempf, qui possède désormais les dessins de Storr, que l’auteur a décidé d’écrire sur ce personnage que la vie n’a pas épargnée et qui s’est réfugié dans le dessin.
Il ne s'agit pas d'un roman, plutôt d'une biographie mais qui reste assez partielle car des pans de la vie de Marcel Storr restent dans le noir.
Enfant de l'assistance publique, Marcel Storr est ballotté entre différentes familles, souvent paysannes, et sera souvent battu. Souffrant de surdité très jeune, illettré, il se réfugie dans le dessin. Son caractère très sauvage et méfiant le rendra paranoïaque à la fin de sa vie.
Pourtant, après la guerre, il se marie avec une certaine Marthe. Pendant des années le couple vivra chichement, occupant le logement de fonction de Marthe qui est concierge dans une école. Un jour, Marthe montre les dessins de son mari à Madame Kempf, la présidente des parents d'élèves, qui sera émerveillée par le don de cet homme et cherchera à tout prix à le faire connaître...
Car les dessins de Storr sont absolument extraordinaires, d'autant plus extraordinaires qu'il n'a jamais suivi de cours : des paysages de villes, de cathédrales, qui font parfois penser à des gratte-ciels (Storr était émerveillé par l' Amérique et Nixon ! ), aux temples d'Angkor, avec une minutie et un souci du détail prodigieux, et dont vous pouvez voir quelques reproductions à l'intérieur du livre.
" Devant ces églises, ou cathédrales, à la fois irréelles et figuratives, nous avons un sentiment d'incertitude, de familiarité, puis d'étrangeté!; Nous oscillons entre une impression d'intimité et une autre d'ardente singularité. Avec Marcel nous croyons découvrir l'architecture maure, germanique, du Cambodge ou d4asie. Les styles et les non-styles nous égarent. Ses églises ressemblent à des cathédrales anglicanes, à des palais russes, des temples orientaux...
Il arrive que l'oeil se tranquillise, on se dit "ça, c'est du connu", et puis non. Le sentiment de déjà-vu est présent, sans que l'on puisse à coup sûr en déterminer l'origine.
Elles ne ressemblent en fait qu'à elles-même et restent impénétrables. Elles pourraient être vraies, exister. C'est ce qui déconcerte, elles ressemblent à quelque chose qu'on croit reconnaître tout en s'en différenciant. D'où viennent-elles ?"
En 1976, Storr mourra dans l'indifférence générale.
-> Storr, Architecte de l’ailleurs, Françoise Cloarec, Phébus, 12€ .
-> Site de l'éditeur (où vous pouvez "feuilleter" des extraits de l'ouvrage)