Purge n'est pas un livre "bonbon". Purge ne fait pas du bien, ne se lit pas vite, ne propose pas de solution.
La lecture de ce roman a été douloureuse. J'ai dû marquer des étapes, des temps de digestion et de dégoût. Ce livre plante des lames de rasoir, triture mais, finalement, éclaire.
L'Estonie soviétique, puis l'Estonie "libre" et ses voisins. Les combats politiques s'enchaînent, déchirent des familles, des clans, des femmes. Elles ne se battent pas pour la cause féministe, elles se battent pour exister, juste le nécessaire. Elles sont mères, parfois mauvaises, elles sont soeurs parfois traitresses, elles sont esclaves, souvent. Aliide, Ingel, Linda, Zara : des luttes plus parallèles que successives, car nul bénéfice ne semble découler des combats des aînesses...
Qu'il s'agisse d'Aliide, jeune estonienne des années 50 ou de Zara, émigrée forcée à Berlin, la langue de Sofi Oksanen est précise, rapeuse, brutale. Elle nous tient et nous malmène dans un même temps... comme un écho à la violence subie par ses personnages.
"1947, Estonie Occidentale
Aliide aurait bientôt besoin d'une papirossa
(...) Les mains d'Aliide furent attachées dans son dos et un sac fut mis sur sa tête. les gars se retirèrent. A travers la jute, elle ne voyait rien. Quelque part; de l'eau gouttait par terre. L'odeur de la cave passait à travers. La porte s'ouvrit. des bottes. Le chemisier d'Aliide fut déchiré, les boutons projetés sur les dalles, sur les murs, les boutons de verre allemands, et puis... elle se transforma en souris dans un coin de la pièce, en mouche dans la lampe, elle s'envola, en clou dans le carton mural, en punaise rouillée, elles était une punaise rouillée dans le mur." (p. 163)
"1991, Berlin
Le prix amer des rêves
Tout d'abord, Pacha expliqua à Zara qu'elle avait une dette envers lui. Quand elle l'aurait réglée, elle pourrait partir - mais d'abord, le paiement ! Et elle ne pourrait payer qu'en travaillant pour Pacha, et en le faisant efficacement, ce travail qui payait bien.
Zara ne comprit pas de quoi elle était en dette. Néanmoins, elle commença à compter combien elle avait payé pour son prêt, combien il lui restait à rembourser, combien de mois, combien de semaines, de jours, d"heures, combien de matins, combien de nuits, combien de douches, de pipes, de clients. Combien de filles elle verrait, de combien de pays. Combien de fois elle mettrait du rouge à lèvre et combien de fois Nina lui ferait des points de suture. Combien de maladies elle choperait, combien de bleus. Combien de fois sa tête enfoncée dans la cuvette des WC. et combien de fois elle pourrait être sûre qu'elle se noierait dans le lavabo, la main de fer de Pacha sur la nuque." (p. 274)
-> Purge, Sofi Oksanen, Stock, 21,50€.