À travers le regard de Ricardo, engagé par Nina Simone pour lui servir d'homme à tout faire, Gilles Leroy revient sur les dernières années de la célèbre chanteuse.
Le succès et la gloire sont maintenant bien loin : nous sommes probablement dans les années 90 et Nina finit ses jours dans le sud de la France.
Son portrait n'est pas forcément très flatteur : entre l'alcool et les médicaments (pour calmer ses troubles bipolaires), Nina a un langage des plus châtié et se dispute sempiternellement avec les différents hommes qui gèrent sa carrière...
Le récit effectue des retours en arrière sur l'ensemble de sa carrière quand elle entreprend de raconter quelques souvenirs à Ricardo, jusqu'à l'issue fatale quand elle décède en 2003.
Nina Simone, roman clôt la trilogie américaine, série entreprise par Gilles Leroy, qui compte Zola Jackson et Alabama Song, auquel Leroy fait un clin d'oeil quand Nina évoque le souvenir d'une rencontre avec Zelda Fitzgerald.
Le roman mélange éléments réels et fictionnels, et c'est ce qui rend sa lecture intéressante et assez troublante...
«Pardon d'insister, mais que reprochez-vous au jazz ?
N. S. - Si je lui reproche une chose, c'est d'être un concept de blanc. Pour la plupart des Blancs, jazz égale Noir, et Noir égale crade. C'est pour ça que je n'aime pas ce mot, et Duke Ellington ne l'aimait pas non plus. C'est un terme qui sert à juste à identifier les Noirs, à les stigmatiser.
Comment expliquez-vous alors que les Blancs eux-mêmes aient versé dans le jazz ? Que des jazzmen blancs soient salués dans le monde entier ?
N. S. - Je ne me l'explique pas car c'est juste de la connerie ! Seuls les Noirs peuvent en faire. Certains Blancs parviennent à nous imiter pas trop mal. Mais ça reste ennuyeux et plat comme une copie. L'exception c'est Debussy, le premier musicien blanc qui ait écouté le jazz et l'ait assimilé dans sa musique. Je dis bien assimiler, pas édulcorer, pas chercher à faire cet affreux jazz d'ascenseur qu'on entendra par la suite. Debussy et moi, on a fait la même chose, mais en sens inverse. Ce génie avait compris qu'on est incapable de faire de jazz si on n'a pas eu au moins un grand-parent esclave. Que c'est sans espoir. Que c'est même assez prétentieux, si on y réfléchit. Regardez ce pauvre Woody Allen, qui se couvre de ridicule avec sa clarinette astiquée par la bonne.»
Extrait pages 77-78.
-> Nina Simone, roman ; Gilles Leroy, Le Mercure de France, 18.50€.