Deux narratrices, Suzan et Fleur, prennent tour à tour la parole pour parler d'une troisième femme, Adèle.
Adèle est la grand-mère de Fleur et elle vient de mourir. Suzan, dont son père a été amoureux d'Adèle, assiste de loin aux funérailles.
Le portrait d'Adèle, d'origine polonaise, et dont les parents se sont installés à Paris un peu avant la guerre, se dessine à travers les souvenirs des deux femmes, et à travers l'Histoire et les souffrances qu'elle engrange en filigrane.
Autant Fleur s'efface devant le souvenir de sa grand-mère, autant Suzan se rebelle devant Adèle, à qui elle ne pardonne pas d'avoir "ensorcelé" son Américain de père, qui a rencontré Adèle et son mari à la fin de la guerre, après le Débarquement. Toute sa vie, il avait gardé un souvenir très fort de la belle polonaise, qu'il retrouvera plusieurs années après leur première rencontre.
À travers Adèle, Susan repense à sa propre mère, se redécouvre elle-même et décide de reprendre sa vie en main.
À défaut d'Amérique est un livre ultra féminin, rempli de fantômes et empreint de beaucoup d'humanité : à découvrir !
"Cette Suzan-là, celle d'autrefois, nourrissait l'idée romantique de son métier d'avocat. Et ses études en France à une époque où l'université cultivait la contestation, loin de contrarier cette vision, , l'avaient teintée d'un gauchisme assez lourd à porter et dissonant dans son milieu et son pays. C'était aussi la voix d'une Suzan au corps libre et fier, jamais rassasiée des amants français si bavards, si merveilleusement habités et comme anoblis par leurs opinions sur tout. De retour à New-York, elle avait fréquenté les associations les plus diverses et défendu avec elles mille causes en tentant d'épancher son besoin d'implication, sa nostalgie des amours militantes et débridées. (...) Dans le même ordre d'idées, elle n'avait plus accepté de bénéficier de la fortune familiale pourtant honnêtement amassée, se sentant plus fidèle à ses idéaux, plus vibrante surtout, dans la nécessité de gagner son pain seule. Alors qu'elle commençait à être à court de combats, lasse peut-être car le monde en offrait une réserve infinie, elle avait revu par hasard son chéri du lycée : le parfait spécimen du mâle américain sain et pragmatique, de tout temps promis à Suzan par l'ambition de sa propre famille. Elle l'avait épousé en évitant de se demander pourquoi elle se rendait, avait remisé ses passions en s'en croyant guérie.
Trente ans et un divorce plus tard (le beau parti et Suzan ne s'étaient entendu en rien, avaient espéré en vain l'enfant qui aurait validé leur union, avaient vite admis et, pour une fois, dans un bel accord, s'être fourvoyés), elle n'attendait plus de son job qu'argent et victoires, se shootaient à l'efficacité tandis que la voix retranchée dans une part sauve de son exaltation continuait de s'égosiller."
(extrait pages 38-39)
-> À défaut d'Amérique, Carole Zalberg, Actes Sud, 18.50€, à paraître en février 2012.