Claude Pujade-Renaud nous offre avec son nouveau roman Les femmes du braconnier plusieurs lectures possibles.
Si l'on en croit la quatrième de couverture, il s'agit d'une biographie romancée de Sylvia Plath pendant la brève période que fût son mariage avec le poète Ted Hughes au terme duquel
elle se suicidera.
Mais ce livre est plus que cela : d'une part, si l'on se contente de rester à la surface des choses, c'est un beau roman, récit d'une vie trop tôt interrompue, que l'on peut lire en
s'arrêtant à cette histoire tragique et puis passer à autre chose. Mais ce portrait de femme, raconté par de multiples personnages, doté d'autant de facettes et de regards qu'il y a de
narrateurs, est celui d'une femme vivante, aimante, physique. Sylvia Plath est présentée comme n'existant qu'au travers de la chair, du sexe, du sang, de la nourriture et
de la gestation. L'alternance de voix produit cet effet narratif : le personnage lui même semble fuir tout ce qui n'est pas d'une réalité physique immédiate, comme si Sylvia Plath refoulait
férocement la possibilité d'une défaillance psychique. Seules quelques allusions sont glissées dans le texte : allusions aux thèmes des poèmes de Sylvia Plath, mais aussi réactions
de la mère de Sylvia à ceux-ci.
Et le suicide !
La tension du roman se place dans ce hiatus que l'auteur entretient avec talent. Le récit lui-même n'a rien de sombre, les personnages vivent de grands moments de bonheur mais ce livre est une
tragédie. L'effet n'arrive qu'une fois la dernière page tournée, lorsque l'on se rend compte que ce roman a été lu à côté de son réel sujet, et ceci même si le titre était là pour nous
indiquer la voie. Ce roman n'est pas une biographie de Sylvia Plath. C'est le portrait en creux, en négatif, de son mari, le poète Ted Hughes. S'il n'est jamais le sujet principal, ce
livre n'en raconte pas moins son histoire.
Mais bizarrement, c'est la poésie de Sylvia Plath que l'on a envie de connaître tout au long du livre. Aussi, voici un de ses poèmes : Ariel (Éditions Gallimard, Collection Du monde entier, 2009, pp. 45-46. Traduit de l’anglais, présenté et annoté par Valérie Rouzeau) et un lien vers
un article du Magasine
Littéraire qui lui est consacré.
Ariel
un moment de stase dans l’obscurité.
Puis l’irréel écoulement bleu
Des rochers, des horizons.
Lionne de Dieu,
Nous ne faisons plus qu’un,
Pivot de talons, de genoux ! ― Le sillon
S’ouvre et va, frère
De l’arc brun de cette nuque
Que je ne peux saisir,
Yeux nègres
Les mûres jettent leurs obscurs
Hameçons ―
Gorgées de doux sang noir ―
Leurs ombres.
C’est autre chose
Qui m’entraîne fendre l’air ―
Cuisses, chevelure ;
Jaillit de mes talons.
Lumineuse
Godiva, je me dépouille ―
Mains mortes, mortelle austérité.
Je deviens
L’écume des blés, un miroitement des vagues.
Le cri de l’enfant
Se fond dans le mur.
Et je
Suis la flèche,
La rosée suicidaire accordée
Comme un seul qui se lance et qui fonce
Sur cet œil
Rouge, le chaudron de l’aurore.
-> Les femmes du braconnier de Claude Pujade-Renaud, éditions Actes Sud, 21€
-> Réserver le livre à la librairie du Parc : 01 42 38 37 52.
-> Voir le livre sur le site de l'éditeur