"Ce n'est pas par politesse, ce n'est pas parce que c'est interdit qu'on ne tire pas le rideau, réfléchit la petite, c'est autre chose.
C'est plus fort.
C'est tabou.
Elle ignore le mot mais elle connaît la chose. Voir sa mère, croquer une hostie, tirer le rideau de l'Homme-qu'on-ne-voit-pas n'est pas interdit, c'est plus fort. Passer outre transforme en bois, en pierre, en plomb, suscite d'autres manifestations bizarres aussi. Elle sait. C'est tabou. Quand elle apprendra le mot, elle reconnaîtra la chose, précise, indubitable, sans confusion possible, soulagée qu'il existe un mot contenant les sensations éparpillées, un petit mot de rien du tout, qui a l'élégance d'être bref et d'allure comique, à condition de ne pas lorgner vers l'homonymique ta boue, ce serait jouer dans une autre cour, et cela, c'est tabou. Un mot salvateur et rejouissant donc, même s'il ne dégomme pas la chose."
-> La sentinelle tranquille sous la lune, Soazig Aaron, Ed. Gallimard, 18.90€