Voici un roman hors normes, mieux qu’un polar historique : c’est un polar préhistorique, paléolithique pour être plus précis.
L’intrigue se déroule lors du Jamboree qui rassemble dans le Val Velu des dizaines de tribus autour d’agapes et de cérémonies religieuses. C’est le moment de resserrer les liens entre clans, de partager les découvertes entre confrères chamanes et c’est surtout pour nous l’occasion de rencontrer une myriade de personnages aux noms tarabiscotés et évocateurs.
Bien sûr il faut nourrir tout ce monde, c’est pourquoi sur une steppe balayée par le boréal (le vent réputé être le plus perfide et le plus rancunier) un groupe de chasseur traque un troupeau de bisons. Au moment crucial, lorsque la bête ploie sous le coup des sagaies, l’invité d’honneur en personne se volatilise.
Et ce n’est que la première d’une série de disparitions qui propage une onde de terreur superstitieuse sur le rassemblement des clans. Heureusement que le chamane Collembole N’a-Qu’un-Œil, en digne précurseur des Hercule Poirot et autres Sherlock Holmes se charge de mener l’enquête.
Timothée Rey profite de la liberté incroyable que lui procure une période si peu connue pour laisser libre cours à son imagination ainsi qu’à ses inspirations narratives. En effet il s’affranchit d’emblée de l’idée de coller au vocabulaire limité et aux tournure simplistes auxquels on pourrait s’attendre dans la steppe préhistorique, au contraire, il se plait à utiliser un langage soutenu (les chamanes confrères n’hésitent pas à se donner du « cher homologue »). Par ailleurs Rey se laisse tenter par des anachronismes réjouissants souvent portés par des jeux de mot douteux (dès les premières pages, une hase bine).
Une fois que l’on accepte de jouer le jeu de cette narration toujours inventive, on accède à un monde parfaitement structuré et qui émerge peu à peu à travers une foule de détails :
- une mythologie développée entre chaque chapitre sous forme d’histoires racontées autour du feu ;
- une organisation précise, pacifique et matriarcale de la société ;
- un système original de mesure du temps et de l’espace ;
- différentes manières d’aborder la spiritualité, depuis le chamane soigneur au vantard fanatique ;
- des expressions spécifiquement aurignaciennes ;
- des noms savoureux qui méritent ici un début d’inventaire. Citons Orvet Bras-Croisés, Souci Chez-les-Siens, Sphaigne Anse-Cachée, Ciguë N’a-Rien-Dit, Cigogne Y-Prend-Goût, Hulotte Deux-Vœux-Lourds ou encore Aspérule Á-Pieds-Joints.
Après des premiers pas sceptiques dans ce roman, je me suis rapidement surprise à chercher un sens caché dans chaque dialogue, à attendre la prochaine astuce avec impatience et à cheminer aux côtés du chamane-détective avec jubilation.
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I. Une espace : distance que parcourt en terrain plat un homme marchant d'un bon pas, sans toutefois se presser, pendant une "durée", c'est-à-dire le temps d'une aube ou d'un crépuscule (on dira dans les trois quarts d'heure). Équivaut à environ quatre de nos kilomètres.